#COVID 19 – Christian-Makolo KABALA et Marc DAVISSEAU (Sud Axe Partners) : «En s’organisant de façon atypique, l’Afrique fait face à la pandémie et à l’onde de choc économique annoncée»
Le savoir-faire des dirigeants africains acquis face aux épidémies s’exprime par leur capacité à acter des mesures préventives sans tergiverser, gagnant ainsi un mois dans la bataille contre la propagation du Covid-19. Mais l’Afrique ira plus loin encore, jusqu’à tracer une voie originale à la sortie de crise économique, pour le monde d’après. Arguments.
Une tribune libre de Christian-Makolo KABALA, Président de Sud Axe Partners, et Marc DAVISSEAU, Directeur Général.
Depuis quelques mois, le monde entier subit de plein fouet la pandémie du coronavirus mettant à rude épreuve systèmes de santé, économies, gouvernements et vie sociale de tous les pays. Alors que l’on entrevoit timidement une sortie de crise avec une stabilisation en Chine (point initial de l’épidémie) et un déconfinement progressif en Europe (deuxième foyer de pandémie), la communauté internationale se prépare à venir en aide à l’Afrique, continent qui jusqu’ici semble être peut touché par le virus Covid-19.
Cette anticipation n’est pas sans raison: faiblesse des systèmes de santé et de l’industrie pharmaceutique, fragilité des économies et défaillance des politiques publiques de soutien… tout porte à croire que la crise coronavirus va frapper et mettre à terre ce géant de 1,3 milliard d’habitants. Pourtant, des éléments méritent notre attention avant d’écrire des scénarii catastrophes quant à la progression de la pandémie sur ce continent. Car ainsi que le relève le Dr. Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix et gynécologue congolais, des mesures appropriées ont été prises en Afrique.
Une organisation pragmatique et africaine
Avec plus de 27 000 cas confirmés de Covid-19 selon les derniers chiffres officiels des Nations Unies enregistrés à ce jour, le continent africain s’est très vite mis en ordre de marche pour endiguer la propagation du virus. Régulièrement confrontés à diverses épidémies (paludisme, Ebola, fièvre typhoïde), les pouvoirs publics africains ont rapidement pris la mesure de la gravité de la situation. C’est donc naturellement et sans trop de tergiversations que chacun d’entre eux a imposé, au plan national, des mesures strictes dès l’apparition des premiers «cas importés» de personnes touchées par le virus, gagnant ainsi un mois dans la bataille contre la propagation du Covid-19 par rapport à l’Europe ou les États-Unis.
Confinement partiel, fermeture des frontières, interdiction de rassemblements, couvre-feu et déclaration d’état d’urgence sanitaire constituent le dispositif de lutte contre la pandémie en complément du port du masque et de l’application de la distanciation sociale quand celle-ci est applicable. En effet, il faut rappeler que les mégalopoles africaines sont les premières concernées par ces mesures du fait de l’affluence (la circulation des personnes) et de l’activité économique importante, notamment avec le commerce extérieur. Ce qui est moins vrai en zone rurale.
La réponse sanitaire repose aussi sur la mobilisation du secteur privé. Au Maroc, par exemple, les entreprises textiles ont réorienté leur production vers la confection de masques amenés à être distribués dans 72 000 points de vente (pharmacies et magasins d’alimentation). Un fonds spécial destiné à la lutte contre le coronavirus a également été lancé. Ouvert à la société civile, aux entreprises et aux acteurs du secteur public, ce fonds réunit l’équivalent de 3% du PIB marocain.
Autre exemple, au Kenya où, au-delà de la réquisition de l’appareil de production, les nouvelles technologies sont utilisées dans le cadre du contact tracking, et le machine learning permet de mieux concevoir les campagnes de communication afin de sensibiliser les populations. Les chefs d’Etat africains s’organisent. Conscients des limites de leurs systèmes sanitaires, ils se sont engagés dans une gestion de crise lucide et pragmatique qui a le mérite d’être soulignée.
Singularités et solutions alternatives africaines
Alors que les statistiques relatives à l’évolution de la pandémie en Afrique affichent des chiffres étonnamment bas (près de 15 000 cas de personnes guéries et près de 1 500 morts à déplorer), des recherches avancent, avec une prudence de rigueur en l’absence de recul suffisant. Plusieurs raisons viendraient expliquer cela.
Il y aurait tout d’abord l’hypothèse selon laquelle tous les cas ne seraient pas identifiés. Toutefois, il est important de souligner que les cas confirmés de coronavirus portent tous sur des personnes symptomatiques et testées positives au virus. L’identification par le personnel de santé des porteurs du Covid-19 se fait donc sans difficulté.
Ensuite, une immunité d’ordre démographique serait à prendre en compte. Quand on considère l’environnement propice aux germes et la pyramide des âges du continent, très majoritairement jeune, nous comprenons aisément que le virus circule, certes, mais dans sa forme la moins grave. À cela s’ajoute une immunité thérapeutique. La vaccination massive des populations, avec le BCG (Bacille de Calmette et Guérin), vaccin antituberculeux, serait une autre donnée importante car elle serait en cause dans la réduction de la charge virale du Covid-19.
Concernant la prise en charge des patients testés positifs, les États africains ont déployé des protocoles alternatifs. Leur savoir-faire, acquis à la suite de précédents épisodes d’épidémies graves, repose aujourd’hui sur l’administration de traitements antipaludéens à base de quinine, la chloroquine et l’hydroxychloroquine. Molécules similaires – administrables uniquement sur prescription médicale et sous surveillance en milieu hospitalier – elles diffèrent dans la dose thérapeutique à administrer, l’hydroxychloroquine présentant moins de risque d’un point de vue sécurité du médicament.
Ainsi, des pays comme le Sénégal et le Maroc ont opté pour un traitement des patients Covid-19 avec le Plaquenil (à base d’hydroxychloroquine) associé à l’antibiotique, l’azithromycine.
Le savoir-faire africain, c’est aussi une pharmacopée développée afin de tenter de venir à bout du coronavirus. Les propriétés prophylactiques et curatives de l’artemisia, plante principalement présente en Asie et Afrique, sont mises en lumière dans la course au remède contre le Covid-19. Et cela n’est pas sans susciter des remises en question quant à son efficacité à l’instar de l’usage de l’hydroxychloroquine ! C’est donc dans un débat médiatique retentissant que le président malgache, M. Andry Rajoelina, a annoncé le 22 avril dernier la mise à disposition du Covid-Organics, remède conçu à partir de l’artemisia.
Le pouls des économies africaines sous surveillance
Si les «fonctions vitales» du patient africain sont encore sous surveillance, les «fonctions périphériques» ayant trait à la vie économique des 54 États restent une constante à suivre avec la plus grande attention sous peine d’arriver à un état critique. Car si nous pouvons espérer – même s’il est encore prématuré d’en être certain – une progression faible et tardive du coronavirus, son impact sur les économies locales est plus à craindre.
C’est donc en prévision de cette onde de choc que la riposte des leaders africains se veut aussi une réponse concertée faisant appel à l’intelligence collective d’experts du Continent.
L’Africa Covid Task Force, présidée par Tidjane Thiam, a été pensée et instituée dans ce sens. L’équipe est d’ailleurs constituée d’autres pointures de monde économique, à savoir: Ngozi Okonjo-Iweala, ancien ministre des finances du Nigéria et ex-DG de la Banque mondiale, Trevor Manuel, ancien ministre sud-africain des finances et Donald Kaberuka, ex-président de la Banque Africaine de Développement (BAD).
Cette organisation est mandatée par l’Union Africaine (UA) afin de trouver une solution coordonnée et continentale à la crise sanitaire du coronavirus; et mener les discussions avec les institutions financières internationales. L’Africa Covid Task Force s’engage également à mobiliser les fonds pour éradiquer la pandémie et relever les économies africaines.
L’Afrique dans son ensemble est une partie prenante à part entière de la mondialisation. La contraction de la demande chinoise (premier partenaire commercial) ainsi que le ralentissement des activités laissent présager un contrecoup sans précédent sur le PIB de l’Afrique, dont la croissance serait réduite à 1,8% en 2020, contre 3,2% initialement prévue par la CNUCED. Le moratoire récemment adopté par le G20 sur la dette publique africaine est un autre signe annonciateur de récession. C’est la première décision qui s’inscrit en amont des nombreuses initiatives qui seront prises pour mettre sur pied un vaste plan de relance à l’échelle continentale.
Si la crise du coronavirus laisse entrevoir un coup d’arrêt au développement du continent africain, on assiste à une période clé dans sa trajectoire de croissance. Nous ne préjugeons de rien mais il faut se rappeler que cette crise sanitaire est un «accident» dans le cours de l’histoire mondiale et, plus spécifiquement, dans l’histoire africaine. Plusieurs suites sont donc envisageables. Toutefois, nous en privilégierons deux.
La première, après que le gros de la crise sanitaire est passé, avec sans doute des résurgences de l’épidémie: l’Afrique, affaiblie comme l’ensemble des pays de la planète, poursuit cependant son développement économique au même rythme d’avant corona, avec les mêmes interactions sur la scène internationale.
Dans la seconde suite envisageable, nous assistons à l’accélération du processus d’intégration régionale, de transformation et de diversification des différentes économies ainsi qu’aux prémices d’une industrie pharmaceutique made in Africa, jusqu’ici peu développée. Cela serait l’émergence d’une «Afrique solution» aux défis continentaux, et plus largement, mondiaux.
Ce qui est sûr: c’est le même virus qui atteint l’Afrique, mais elle présente ses propres symptômes et développera son propre système immunitaire!
DES MÊMES AUTEURS :
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